Pour cet article, j’ai le plaisir d’inviter Christophe ( pseudonyme: Tof) qui est passionné par les sciences. Il en est tellement passionné qu’il a un blog sur lequel il rédige des articles expliquant les notions fondamentales dans un langage simple tout en parsemant ses explications d’anecdotes et de métaphores. Je lui laisse la parole, afin qu’il vous explique en quoi les abeilles ont un rôle important selon la science.
Connaissez-vous le rôle des abeilles selon la science ?
Bon, on connait tous le rôle des abeilles pour
- Fabriquer le miel et la gelée royale de nos cuisines,
- Expliquer la sexualité aux enfants –mais si ! L’abeille butine une fleur mâle puis…
- Occuper nos enfants devant le petit écran – Ah, Maya l’abeille…
Mais qui connait le rôle des abeilles selon la science ?
Suivez le guide
Les abeilles et l’écosystème
Albert Einstein a dit :
« Si les abeilles disparaissaient de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre«
Ah ? C’est vrai ? Oui, Einstein a toujours raison même quand il a tord…
En fait, ne demandons pas à un physicien de nous expliquer l’écologie… quand-même ! Sauf qu’en réalité, il n’y a aucune trace de cette phrase dans la bibliographie sérieuse sur Albert Einstein ! Méfiez-vous des affirmations sans sources…
Toutefois, cette pseudo-citation einsteinienne signifie quelque chose…
Alors cette réflexion vient d’un relevé à la louche des implications de la disparition de nos amies les abeilles : la pollinisation est une étape incontournable de l’agriculture ! Si les abeilles disparaissent, plus de fruits et de légumes, donc famines, guerres et autres joyeusetés puis fin de la civilisation…
La place des abeilles dans l’agriculture
L’abeille, ou plutôt les abeilles et associés, ne sont pas les seuls pollinisateurs :
Des papillons, mouches et même oiseaux et rongeurs participent au cycle des fleurs.
Cependant, les abeilles sont les reines du butinage systématique ! Et on estime leur travail à 80% de la pollinisation des cultures vivrières (les petits jardins de subsistance) et entre 20% et 80% pour l’agriculture intensive. Cela varie énormément selon les cultures considérées : les fruits et légumes nécessitent la présence des abeilles, les céréales OGM beaucoup moins.
Ceci étant, les abeilles sont responsables de 40% de nos productions agricoles tout confondu !
Alors Einstein n’avait-il pas encore raison ? Enlevez près de la moitié de la nourriture disponible et imaginez le monde dans 4 ans…
Les abeilles irremplaçables
L’autre caractéristique des abeilles est de s’intéresser à toutes fleurs et donc de polliniser de nombreuses espèces végétales sans distinction.
Les autres pollinisateurs sont souvent spécifiques à une espèce végétale ce qui diminue leur impact sur la reproduction des végétaux.
Si nous avons des miels spécifiques, c’est juste que certaines plantes ont une floraison éclair, en quelques jours ou semaine l’ensemble des fleurs maturent de façon massive: le miel récolté à ce moment est alors très majoritairement issu de ces plantes. Miel de tilleul, d’acacia… viennent de ce phénomène.
Par contre, d’autres fleurs se développent sur une grande période, mélangées à beaucoup d’autres espèces végétales. On retrouve ce phénomène dans les prés « sauvages » multicolores de fleurs diverses… et hop, voici le miel « Mille Fleurs ». Une même ruche peut donc polliniser différentes espèces végétales ce que les papillons ne peuvent pas faire, souvent associés à un type végétal dans leur cycle. (De toute façon, joli papillon, tu ne fais pas de miel…)
Des abeilles et la science…
Et la science dans tout ça ?
Existe-t-il des applications scientifiques impliquant nos chères amies ?
Les abeilles, étude biologique
Les colonies d’apinae (sous familles des hyménoptères regroupant les abeilles (Apis) les bourdons (Bombini) et tout un tas d’autres « presque » abeilles sociales)…
– Ok, arrête de digresser, on va perdre nos lecteurs !
Donc ! Les colonies d’apinae sont un sujet d’étude passionnant autour de la communication entre les individus d’une même colonie (ruche).
On y découvre des danses indiquant la direction des champs de fleurs, des échanges entre individus…
Et comme pour les fourmis, on se pose même la question suivante :
L’organisme est-il chaque individu de la colonie ou la colonie elle-même ?
En effet, chaque bestiole isolée est suffisante à elle même pour presque tout mais constitue une partie d’ «organe» de la colonie (système digestif, défenses de l’organisme colonie, reproduction, élevage des oeufs et larves…)
Enlevez un seul de ces « organes » et la colonie meurt…
Robotique, IA et insectes sociaux (abeilles, fourmis)
Le fonctionnement social des ruches inspire grandement les ingénieurs en robotique : les modes de transmission d’informations amène toujours à la solution la plus efficiente. Les abeilles repèrent et exploitent les fleurs de leur environnement avec une efficacité remarquable.
En copiant leurs modes de communication, les chercheurs créent des modèles informatiques « intelligents » qui trouvent des solutions à des problèmes complexes. Ceci intervient aussi dans la recherche de « colonies de robots » interagissants ensemble. C’est une voie de développement des véhicules autonomes, par exemple. Et si le modèle 2D s’intéresse aux fourmis, des applications en vols en essaims (3D) se calquent sur le modèle abeilles.
Si des applications « trouver le chemin le plus court » nous semblent triviales, les insectes sociaux sont capables de développer des stratégies de résolution de problèmes complexes alors que chaque individu n’a qu’une vision partielle de la situation et réagit à quelques règles simples.
La solution à des questions comme « comment organiser les secours après un tremblement de terre pour sauver le maximum de monde ? » pourraient être résolues par des modèles d’Intelligence Artificielle issus des comportements des insectes sociaux.
Les abeilles, marqueuses de qualité environnementale
Aussi formidables soient ces petits insectes, ils sont très sensibles aux stress apportés à leur environnement. Une dégradation de la qualité environnementale entraine rapidement une fragilité des ruches, à des maladies, des parasites…
Aussi, étudier la vivacité, la densité, l’activité des ruches est un excellent révélateur de la qualité environnementale.
D’ailleurs, il est assez contre-intuitif de se rendre compte que les ruches urbaines sont en meilleure santé que les ruches de zones agricoles. Mais, les villes ont des parcs, des jardins pour la plupart pas ou peu traités aux herbicides et insecticides.
Point méfiance tout de même, une étude comparative ne dit pas tout et le résultat final peut être biaisé si on est pas précis dans la formulation: il y a moins de certains pesticides dans les ruches urbaines, sauf que les particules diesel, les dioxines… ne sont pas cherchées. Il faut donc compléter les investigations en ce sens.
La vivacité de la ruche comme marqueur environnemental
Il y a un principe en expérimentation scientifique : éliminer le maximum de biais opératoires.
Principe de science : ne tester qu’un paramètre à la fois
Pour ce faire, un premier principe est de trouver un protocole expérimental qui peut conclure :
Toute chose étant égale par ailleurs, le résultat A est significativement différent de B donc…
Toute chose égale par ailleurs… c’est à dire ne tester qu’un seul paramètre variable.
Je prends un exemple pour expliquer :
L’expérience consiste à mesurer la surface d’un rectangle en fonction de ses dimensions pour trouver la relation longueur / surface. Je dois prendre des unités définies (par exemple le système métrique)
Je dois « fixer » les limites de l’étude : je ne parle pas de trapèze ni de triangle, juste de rectangles. Et je ne dois faire varier qu’un seul paramètre : je modifie la longueur, donc je fixe arbitrairement la largeur.
Ainsi, je peux tracer une courbe « surface en fonction de longueur ».
Si je modifie à la fois longueur et largeur, je ne peux plus tracer la courbe, le système devient complexe à étudier.
Application à l’étude environnementale
Comme je l’ai suggéré, il existe des limites à l’interprétation d’études sur les quantités de pesticides trouvées dans le miel… quels pesticides, dans quel environnement ?
Alors il faut trouver un paramètre « toutes choses étant égales par ailleurs ». Plutôt que détailler la liste complexe et variable des impacteurs environnementaux, nous pouvons fixer un « méta-paramètre » qui marque bien la qualité environnementale.
Et on le fait avec la vivacité des ruches : une ruche s’évalue par sa population, la pression des maladies, la quantité de miel produite, la vivacité moyenne des individus… On obtient un score moyen de « bonne santé environnementale » qu’on peut étudier et reproduire dans le temps. Déclin ou prospérité : la vivacité des colonies devient un marqueur environnemental fiable qui permet d’identifier un facteur favorable ou défavorable qu’on peut ensuite étudier plus précisément.
C’est exactement comme cela qu’on détermine l’impact de pesticides sur les abeilles. Si, systématiquement, les abeilles vivants en plaine agricole déclinent alors qu’en ville et montagne elles se maintiennent, un impacteur se trouve dans l’agriculture de plaine (glyphosate, nicotinoïdes…) par exemple.
Les abeilles et l’espace
Décollage du lanceur Ariane ECA, VA251 le 16 janvier 2020 depuis le centre spatial guyanais.
Pour le moment, les études se réalisent en parallèle de l’apiculture mellifère.
Sauf que nous pouvons aller plus loin ! Installer des capteurs hypersensibles pour évaluer l’impact environnemental d’une industrie polluante.
Alors n’imaginez pas des capteurs Hi-Tech bardés de diodes, antennes et panneaux solaires… mais des milliers de micro-robots autonomes et hypersensibles qui couvrent une surface gigantesque à la traque de la moindre molécule polluante. Science fiction ?
Pour être efficaces, ces capteurs doivent centraliser sur une grille prédéfinie la moyenne de pollution dispersée dans l’environnement. Il faut pouvoir faire de multiples prélèvements (des millions) centralisés sur chaque zone et analyser ensuite ce pool de prélèvements en labo…
Comment faire ? Nous ne sommes pas encore capable de créer ces robots en série à cette échelle. Alors, les services écologiques du CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) font appel à un bureau d’étude spécialisé dans la biosurveillance environnementale.
Une technologie de pointe ! Les abeilles !!!
Quoi ? Les abeilles ?
Nicola Brehm, Directeur du bureau d’études NBC, nous dit textuellement :
Les abeilles sont comme des milliers de petits drones autonomes qui collectent pour nous les échantillons à étudier.
Sur la base spatiale sont installées 2 espèces d’Apinae pour la surveillance de l’impact industriel d’une base spatiale.
Les mélipones, ou plutôt une des 80 espèces de mélipones présentes nativement en Guyane est utilisée pour surveiller les pas de tir et l’étendue des pollutions liées aux décollage des fusées Ariane 5 (bientôt Ariane 6), Véga et Soyouz.
Les apis méllifera sont utilisées pour mesurer l’impact des produits phytosanitaires utilisée sur la base.
Les mélipones ? Dis en plus, Tof
Oui, les mélipones est un groupe d’abeilles tropicales très varié, on compte environ 600 espèces de mélipones sur la planète dont 80 sont présentes endémiquement en Guyane. (note de Guillaume: la race d’abeille mélipone existe également au Mexique)
Pour comparer, Apis ne comprend que 7 espèces dont Mellifera…
Les mélipones ne produisent que peu de miel d’une qualité très différente (plus liquide, plus chargé en eau) d’Apis Mellifera.
Elles sont pourvues d’un dard atrophié et ne piquent pas. Pratique à placer dans des zones de présence humaine.
La surveillance de la pollution des fusées
Le principe est simple : on place 3 colonies à chaque endroit à surveiller (typiquement les pas de tir Ariane 5/Véga, Soyouz et le chantier du pas de tir Ariane 6) puis 3 colonies « témoin » dans un lieu préservé loin de l’activité humaine. Depuis 2019, des colonies (3 à chaque fois) sont placées à Kourou, ville de l’espace et Sinnamary, une commune de l’autre coté de la base spatiale.
Pourquoi 3 colonies à chaque fois ?
Parce que, ainsi, on peut voir si une anomalie touche 1,2 ou les 3 colonies à un endroit donné. Une colonie atteinte seule peut être parasitée, attaquée par des fourmis, donc la sécurité de la surveillance repose sur la présence de 3 colonies indépendantes en un même lieu.
Que cherchons-nous ?
L’intérêt des abeilles réside dans les différents stades et produits que l’on peut tester :
Une surveillance des particules industrielles
Les mélipones utilisées ont un duvet sur le thorax qui capture par effet électro-statique les particules rencontrées en vol ou lors du butinage.
En capturant une dizaine d’abeilles par colonies (NB : une colonie perd environ 300 abeilles par jour, naturellement, donc 10 abeilles 2 ou 3 fois par an est négligeable) et en les observant au microscope électronique à balayage (MEB de l’Université de Guadeloupe), on peut caractériser les tailles et densité des particules. Puis par analyse spectroscopique, on détermine, pour chaque particule, sa composition précise pour déterminer sa provenance (sel, poussière de latérite – roche locale, pollution industrielle…)
Une surveillance des polluants concentrés
Les abeilles ramènent à la ruche une grande quantité de pollen situés dans une zone d’environ 1 à 3 km de rayon. Et tout se concentre dans la construction des rayons de ruche, le miel, la cire…
On prélève et on mesure. La composition moléculaire des polluants ainsi concentrée est plus évidente à mettre en lumière.
Une surveillance de l’évolution des colonies
Les colonies sont posées sur des balances de précision, la température intérieure est aussi mesurée. La précision de mesure permet de voir l’envol des butineuses le matin !
Mesurés en continu, ces paramètres nous permettent de voir si l’évolution de la colonie se fait en bonne santé.
Des caméras peuvent-être utilisées pour observer des changements de comportements. Et il ne se passe rien, à moins d’un km d’un lancement d’Ariane 5 !
C’est ça ! Une Ariane 5, lanceur lourd européen, crache un énorme panache de fumées, fait un bruit audible à plus de 80 km et des abeilles situées à moins d’1 km ne s’affolent même pas ? Je n’y crois pas !
Et tu as raison de ne pas y croire, ce n’est pas parce que je le dis que ça doit être vrai ! En science, plus une affirmation est extraordinaire, plus elle doit être documentée de façon fiable. Alors, je vous amène la preuve :
Alors, si, il y a une réaction : à 18 secondes, l’abeille sentinelle qui surveille l’entrée de la colonie recule au bruit de la fusée, puis ressort … 4 secondes plus tard… perturbée, l’abeille !
Conclusion
Notre collaboration avec les abeilles va bien au delà du miel et de la pollinisation. Les techniques utilisées pour la base spatiale sont en fait assez génériques : études de pollution des champs bio par l’agriculture voisine, impact des incinérateurs, des stations d’épuration, de l’impact d’un aéroport… Ces mini drones sont utilisés dans de nombreuses applications. Grâce à l’étude des abeilles par la science, nous pouvons mieux comprendre le rôle fondamental de cet insecte sur notre alimentation et nous pouvons également étudier l’impact de nos avancées technologiques sur elles, les sentinelles de la nature.
Merci à Guillaume de m’avoir proposé cette collaboration
J’espère que cet article vous a intéressé.
Pour ma part, j’aime avoir une approche scientifique des choses et je suis persuadé qu’il est primordial d’informer le plus grand nombre de ce que dit ou pas la science, comme avec les abeilles. Je tiens un blog d’animation scientifique, avec des infos, de la méthodologie, de la pédagogie pour que nous soyons collectivement armés contre la désinformation (politique, médias, fake-news…).
Au fait, Guillaume, petite question :
Christophe: Lors de mes recherches, la question de la pression faite par le frelon asiatique a été posée. Alors pour le moment, il n’est pas présent en Guyane, mais le frelon est arrivé en 2002 en France métropolitaine… Quel est l’impact sur les ruches ? Comment lutter contre ces envahisseurs ?
Réponse de Guillaume: Vous êtes bien chanceux en Guyane 😄 L’impact du frelon asiatique sur les ruches est multiple. Son but est de rapporter à son nid des larves ou des abdomens d’insectes afin de nourrir les larves de frelons asiatiques. Le frelon asiatique stationne à plusieurs près des ruches et attaque les abeilles qui vont butiner. Cela crée un stress important sur les butineuses, cela appauvrit la ruche en ressources (eau, nectar et pollen), et cela peut même conduire à une attaque de plusieurs frelons qui pénètrent la ruche pour rapporter des larves ou des abeilles à leur nid.
Les moyens de lutte sont: repérage et destruction des nids de frelons asiatiques, capture des reines frelons asiatiques en début de saison, piégeage des frelons asiatiques autour des ruches, création d’un masque grillagé autour des ruches pour que les frelons aient du mal à voler autour.
Merci encore à Christophe pour son article !
[…] préserver une espèce, polliniser un environnement, observer leur développement, poursuivre des observations scientifiques et spatiales, étudier les maladies de l’abeille, obtenir du miel et les autres produits de la […]
Waouh ! J’en ai appris des choses ! Je ne savais pas que l’on utilisait les abeilles pour contrôler la pollution dans le cadre spatial !
C’est un article génial et vraiment passionnant !
Les abeilles sont très bonnes indicatrices de notre pollution par air, des impacts des réseaux et des ondes, de la pollution de l’eau, des effets de la chimie sur les plantes.
Je connaissais déjà le rôle des abeilles, et leurs importances dans ce monde. En revanche, j’ignorais que le fonctionnement social des ruches inspire grandement les ingénieurs en robotique. Comme quoi, les abeilles, sont sous-estimés 😉
Les abeilles inspirent les biologistes, les ingénieurs en robotique, les ingénieurs en matériaux, les consultants en organisation, … beaucoup de professions s’inspirent d’elles
Article super intéressant. Il y avait des information que je connaissais, mais alors les abeilles dans l’espace pour contrôler la pollution de l’environnement, je trouve ça génial !! Merci pour toutes ces infos sur nos amies les abeilles 🙂
Je t’en prie 😉
Merci pour ton commentaire